Palais de l’Empereur,
Capitale de l’Empire
Le 1 août 1423
Ma très chère Lucinda,
Tout d’abord je regrette fort ce délai excessif dans la réponse à votre missive du printemps dernier : par un malheureux concours de circonstances j’ai dû m’absenter pour servir les intérêts de l’Empire, et mon courrier n’a bien entendu pas pu suivre puisque ma destination était censée rester secrète : même mes plus fidèles domestiques n’en étaient point informés.
Maintenant que je suis rentré dans mes quartiers au palais, je peux bien le révéler : j’étais sur les côtes de la mer ####, non loin de la ville de ### ####. Ma mission était de mater la rébellion des vestes jaunes, ces manants mi-pêcheurs, mi-sorciers qui s’habillent d’une redingote ambrée comme signe de ralliement.
Non pas que ces conflits et leur résolution me réjouissent, mais j’étais tenu par mon status social et mes engagements de le faire. Cela m’a saigné le cœur de contrer ainsi cette cause qui me semble juste, mais je n’avais guère le choix, dans l’état actuel des choses. J’aspirais à servir un monarque éclairé, me voilà aux ordres d’un tyran sans repères.
Vous voyez, malgré nos différences de rang, que vous soulignez tristement, j’ai aussi mes corvées, et je ne suis au final que le larbin ou la bonniche de l’Empereur, moi qui ne rêvais initialement que de gloire, de justice et de notoriété. Ces miroirs aux alouettes ont mis un certain temps à être brisés, mais les récents événements m’ont comme ouvert les yeux : il suffit parfois d’une seule occasion marquante pour se rendre compte que l’Empereur est nu !
J’ai pu constater la puissance de la magie au détour de ces villages de marins, et elle est fort puissante, même dans des milieux aussi populaires et démunis. L’armée impériale était bien entendu plus organisée, et surtout plus nombreuse, mais il s’en est fallu de peu pour que ce peuple né dans les régions côtières et les collines arides réussisse sa fronde. Je dois avouer avec un peu de gêne que je commençais à prendre parti pour eux, et je crois bien que si cela devait se reproduire, je ne sais pas encore si j’écouterai mon instinct (et donc mon cœur) ou ma raison !
Parlons de vous maintenant. Puisque vous me posiez la question, j’ai l’impression que ce que vos parents appellent « raison » n’est qu’une façon fort conventionnelle de voir les choses. Bien entendu qu’une donzelle peut tout à fait exceller dans le domaine de la grande magie ! Vous auriez vu ces drôlesses avec leurs tuniques dorées, elles ont donné du fil à retordre à mes meilleurs officiers et à leurs soldats, qui se sont souvent retrouvés le nez dans le sable, à bouffer les crabes et les bulots, sous les sons puissants des mirlitons et des cromornes de l’armée adverse ! Elles lançaient éclairs et nuées d’insectes, tornades et lames de fond…
Le Grand Mage est un homme sage, à défaut d’être un homme affable, et il n’est pas à exclure qu’il cherche à vous tester dans un premier lieu. Il ne révèlera certes pas son art magique à la première venue, et il doit être certain de votre motivation avant de s’ouvrir un tant soit peu.
Persévérez ma chère, et soyez assurée que cela paiera ! Il serait fort malvenu que j’intercède en votre faveur auprès du grand Mage. Non seulement votre amour-propre me le reprocherait éternellement, mais en plus il est certain que le Grand Mage n’y serait pas sensible. Cela serait donc absolument contre-productif.
Prenez soin de vous, et que le souvenir de nos batifolages à l’ombre des herbes hautes nous donne le courage de tenir jusqu’à la prochaine missive, à défaut d’une prochaine rencontre.
ZĂ©phyr
(Note : certains passages avaient été effacés lorsque ces #LettresTrouvees ont été redécouvertes)
Pour suivre le fil, la lettre d’origine par Doublure Stylo